SALAMINE. – Acropole mycénienne - 2002
Kanakia
L'université de Jannina conduit une fouille sur l'acropole mycénienne de Salamine depuis 2000, dans la région de Kanakia, sous la direction de Y. G. Lolos, en collaboration avec la IIe Éphorie des antiquités préhistoriques et classiques1.
La ville mycénienne de Salamine, qui fut localisée pour la première fois en 1999 dans une zone boisée située sur la côte Sud-Ouest de l'île, est composée d'une acropole, avec un habitat principal dont la superficie est estimée à 4,5 ha au moins, et de quartiers « satellites » plus restreints, et dispose d'un accès direct à deux ports naturels (Kanakia et Pyrgiakoni). Elle connut son apogée au XIIIe s. av. J.-C. et pendant les premières décennies du siècle suivant, tout comme les autres centres politiques mycéniens, et fut abandonnée un peu avant 1150 av. J.-C., pour une raison qui reste à expliquer.
En plus des importants vestiges localisés dans 12 secteurs au cours de la campagne 2000 (v. BCH 125 [2001] Chron., p. 809-811), les fouilles systématiques de 2001 ont mis au jour deux grands bâtiments peu distants l'un de l'autre, qui faisaient tous deux partie d'un vaste complexe architectural situé au sommet de l'acropole, doté de fonctions bien déterminées et pourvu d'un accès fortifié au Nord.
Le bâtiment artisanal ΙΑ (11,5 x 18 m), du type des grands « édifices à couloirs » (connus à travers les exemples de Mycènes, de Tirynthe, du Ménélaion et d'Iolkos), contenait des ateliers et d'autres pièces annexes étagées sur deux niveaux. Parmi le matériel découvert dans les ateliers de l'aile supérieure se trouvaient de la céramique de l'HR IIIC1, de nombreux objets en pierre, pour la plupart des outils, des fragments de deux petites idoles en terre cuite, des pâtes de pigments minéraux et des fragments de cuves en terre cuite (les ἀσάμινθοι des textes homériques) destinées à un usage artisanal.
Le bâtiment IB (12 x 15 m), en usage vers l'HR IIIB-IIIC1, était pourvu d'une grande entrée fortifiée (fig. 1-2) intégrée dans son plan, qui se trouvait à l'extrémité de la « voie de Kychréia » et servait à contrôler l'accès au bâtiment. C'est une double porte triangulaire munie d'une salle de garde ou d'une loge, unique en son genre, sans parallèles connus dans la Grèce mycénienne tardive ni à Chypre.
Le riche matériel recueilli en 2001 sur l'acropole côtière contenait des objets qui témoignent des relations et des contacts entre la Salamine mycénienne et d'autres centres insulaires de l'Egée et de Chypre à la fin du XIIIe et au début du XIIe s. av. J.-C. : des éclats d'andésite (indispensable pour la fabrication des meules) et des marmites en terre cuite provenant vraisemblablement d'Égine, une cruche peinte avec, sur le côté, un bec muni d'une passoire — production caractéristique de l'Egée au XIIe s., particulièrement répandue à Rhodes et dans le Dodécanèse, et plus tard, au XIe s., à Chypre —, ainsi qu'un fragment de lingot en cuivre pur importé comme matière première de Chypre.
Le grand centre de la région de Kanakia, avec son habitat regroupé indépendant et sa vitalité, avait un rôle incontestable à jouer dans la région du golfe Saronique, à mi-chemin entre les états d'Athènes et d'Argolide. Il doit certainement être identifié avec l'« ancienne ville » de Salamine, c'est-à-dire avec l'ancienne capitale que l'on cherchait depuis le XIXe s. au Sud de l'île, à laquelle Strabon se réfère (IX 1,9) en indiquant qu'elle était « déserte » à l'époque où il écrivait. Le fait qu'elle ait été abandonnée et totalement désertée à partir du début du XIIe s. av. J.-C. est confirmé par les trouvailles archéologiques.
Pendant la campagne 2002 (fig. 3), les archéologues ont localisé et dégagé presque entièrement un grand bâtiment de 28 x 17 m (bâtiment ΙΔ), étagé sur trois niveaux au moins. Il est apparu que ce bâtiment était lié, du point de vue architectonique et fonctionnel, avec les bâtiments IA et IB découverts en 2001. L'ensemble (bâtiments IA, IB et ΙΔ) constitue une unité architecturale (l'aile artisanale) composée d'ateliers, de magasins et d'autres espaces annexes qui faisaient manifestement partie du complexe principal qui s'étendait sur la terrasse supérieure de l'acropole. A une courte distance à l'Ouest de la double porte triangulaire de l'aile artisanale, on a fouillé partiellement les bâtiments Δ et Γ, qui font eux aussi partie du complexe principal, avec des pièces d'habitation. Dans le secteur Γ, un bâtiment allongé de 22 x 5 m environ présente un intérêt architectural particulier : son plan était probablement en forme de mégaron, et on y accédait par un propylon pourvu d'une base de colonne en pierre, du type mycénien bien connu. Sur une terrasse du versant Nord de l'acropole, en contrebas de l'unité artisanale, on a dégagé la majeure partie du bâtiment indépendant ΙΓ localisé en 2000, qui était peut-être en fer à cheval et se distingue par le soin de sa construction. Il servait également — si ce n'est entièrement, tout au moins sa partie Sud si l'on considère les idoles en terre cuite qui y ont été retrouvées — à des activités de culte.
La céramique recueillie dans les couches de destruction à l'intérieur des édifices fouillés confirme de façon définitive que l'acropole côtière, qui était peut-être trop exposée, fut abandonnée au début du XIIe s. av. J.-C., c'est-à-dire à l'HR IIIC1. On constate la fuite massive des habitants, qui fut peut-être progressive, mais s'acheva cependant dans un laps de temps relativement court et marqua l'abandon définitif du site. Certains s'enfuirent dans l'intérieur de l'île et s'établirent sur le plateau protégé et caché de Guinani (où les travaux de prospection et de nettoyage réalisés au cours des dernières années attestent la présence d'un établissement des Âges obscurs et de l'époque géométrique [v. BCH 124 (2000) Chron., p. 790]). D'autres s'enfuirent par mer vers des contrées plus lointaines, peut-être même à Chypre. Lors de la dernière fouille, l'image de l'abandon des édifices de l'acropole s'est confirmée : un certain nombre de pièces du nouvel édifice ΙΔ étaient vides ou presque vides, tandis que le matériel recueilli dans d'autres était plutôt rare et ne correspond certainement pas aux dimensions, au plan et à la qualité architecturale des bâtiments.
Parmi les principaux objets retrouvés dans la fouille de 2002, on mentionnera particulièrement un petit trésor (caché) d'outils en bronze (provenant du bâtiment ΙΔ), un couteau à lame courbée intact en bronze, dix-sept pierres à aiguiser, un sceau en stéatite avec une représentation de cerf ou d'antilope d'excellente qualité, un groupe de dix idoles en terre cuite anthropomorphes (du type Ψ et Φ) et zoomorphes (provenant du bâtiment ΙΓ) (fig. 4), une fusaïole conique en stéatite noire entièrement décorée de motifs ciselés, l'un des plus beaux exemplaires du monde égéen, de provenance probablement chypriote ou anatolienne, une anse aplatie en terre cuite provenant d'un réchaud de type mycénien récent ou d'un lampadaire chypriote (« wall-bracket ») et enfin une grande jarre à étrier en argile grossière (fig. 5) de type commercial, présente dans les lieux de stockage des principaux centres mycéniens et dans les cargaisons des trois épaves préhistoriques de Méditerranée orientale (les trois derniers objets furent retrouvés sur le sol de la chambre 3, détruit par un incendie, dans le secteur Δ). La jarre à étrier présente deux incisions parallèles horizontales sur une anse, exécutées après cuisson, qui se rattachent probablement à un système désormais connu de marques commerciales de vases, caractéristique de Chypre.
(1) Nous remercions Y. G. Lolos pour le rapport de fouilles inédit qu'il nous a fourni.
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